Halte sur le chemin de Saint Jacques

   

 

 
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Hagiographie, archéologie et histoire

Si quatre grands chemins traversent la France, une multitude de variantes nées de la curiosité comme des besoins spirituels et matériels des pèlerins verront le jour au fil des siècles: ainsi naîtra le chemin du Piémont, variante du chemin d'Arles.

Des pèlerins attirés par la renommée de saint Lizier ou de saint Bertrand quittaient la voie d'Arles pour rejoindre ces deux villes où ils étaient vénérés en passant par Castelnaudary, Mirepoix et Foix.

D'autres qui étaient allés se recueillir jusqu'au tombeau de Saturnin -Sernin - le premier évêque martyr de Toulouse, s'éloignaient de la route d'Auch pour rejoindre Saint Bertrand par la vallée de la Garonne: Cazères, Palaminy et Martres Tolosane conservent des traces de leurs passages.

Certains, découvrant la vie de saint Bertrand en passant à l'Isle Jourdain - sa ville natale - se rendaient à la ville épiscopale du Comminges par les coteaux de Gascogne.

Après avoir fait ses dévotions au tombeau de saint Bertrand, le pèlerin suivait le piémont pyrénéen en guettant un col exempt d'intempéries pour passer en Espagne ou se contentait de rejoindre Sainte Christine et le Somport - ou Roncevaux - : l'abbaye de l'Escaladieu et les diverses communautés religieuses du piémont lui offrant alors un accueil spirituel et matériel non négligeable.

L'hagiographie, l'archéologie et l'histoire témoignent de cette fréquentation.

 
La première attestation du passage des pèlerins à Saint Bertrand est d'ordre hagiographique et se trouve dans le Livre des Miracles de saint Bertrand, opuscule rédigé par Vital, moine de l'Escaladieu, vers 1170, à la demande de Guillaume, archevêque d'Auch et neveu de saint Bertrand.

Quatorze des trente et un miracles attribués à saint Bertrand furent réalisés du vivant du saint. Celui dont nous allons parler porte le numéro 26 et se situe donc après la mort de Bertrand.

Un Allemand allant en dévotion à Saint Jacques en Galice, perdit la tête à devenir fou. Ses compagnons le menèrent au tombeau de saint Bertrand, où il pleura, gémit et pria. Le Serviteur de Dieu entendit bientôt ses pleurs et lui rendit son bon sens, lui redonna la raison et dissipa sa folie. Et celui qui était furieux se laissa approcher, ne grinça plus des dents, ne déchira plus ses habits, ne parla plus en fou, fut réglé dans ses discours et dans son maintien. Enfin il revint bien à lui, recouvra entièrement sa santé et remercia le Seigneur qui est et sera béni éternellement.

Et Vital d'ajouter qu'il s'agissait là d'un prodige insigne et de la plus grande ancienneté qui après avoir parcouru nos provinces et celles de Bourgogne et de Lorraine parvint jusques aux peuples Teutons.

Voila ce qui, en termes contemporains, pourrait s'appeler un bon coup de publicité et incita les pèlerins de saint Jacques à venir honorer saint Bertrand.

 

 

 

 
Plus scientifique fut la découverte au milieu de plusieurs autres tombes, lors de fouilles menées en 1983 par la Direction des Antiquités Historiques de Midi-Pyrénées, de la sépulture d'un pèlerin de Compostelle dans l'absidiole nord de la Basilique Saint Just de Valcabrère; découverte qui confirme le passage des pèlerins sur le site.

Le défunt a été inhumé avec ses attributs de pèlerin :
Bourdon ferré, coquille Saint-Jacques. Les restes ligneux brun du bourdon indiquent qu'il était placé en diagonale entre les jambes. L'extrémité du bourdon se termine par un embout ferré.

Cinq éléments décoratifs étaient cloués tous les huit à dix centimètres sur la partie basse du bourdon. Ils sont constitués de deux rondelles en cuivre de 2,3 centimètres et épaisse d'un peu moins d'un millimètre, séparées par deux anneaux en fer se chevauchant en partie. L'ensemble était fixé au bourdon par une agrafe en fer dont une partie traverse les rondelles de cuivre en leur centre, l'autre débordant légèrement. Des fibres ligneuses brunes du bourdon sont encore accrochées aux agrafes.

Photo © Direction des Antiquités
Historiques de Midi-Pyrénées
 
Dans sa tombe, on a encore trouvé :
  • Une petite coquille Saint-Jacques
  • Deux grelots
  • Une boucle de ceinture
  • Une monnaie identifiée comme une obole
    de Jaime II d'Aragon, datée de 1291-1327.
 
Photo © Direction des Antiquités
Historiques de Midi-Pyrénées

La présence de cette monnaie, ainsi qu'une autre datée de 1350, semble situer l'inhumation de ce pèlerin de Saint Jacques dans la première moitié du XIVe siècle. Cette époque correspond au réaménagement du sanctuaire, typique d'une église de pèlerinage: construction de l'édicule gothique permettant de ménager une petite crypte et élévation des reliques proposées à la vénération des pèlerins.

 

 

 

 

Les aménagements de Saint Just, comme ceux entrepris à Saint Bertrand à la même période sont autant d'indices que le nombre de pèlerins devait aller en grandissant, puisque c'est pour les accueillir que Bertrand de Goth, futur pape sous le nom de Clément V, décidera de faire édifier la nef gothique de la cathédrale : travaux qui ne commenceront qu'après son départ du Comminges, sans doute en 1307.

Deux siècles plus tard Jean de Mauléon, à peine devenu évêque, décidera en 1523 de faire réaliser les stalles et le jubé afin d'isoler les chanoines du flot incessant des pèlerins: tous ne devaient pas se rendre à Compostelle et venaient à Saint Bertrand surtout attirés par la renommée de l'apôtre du Comminges, mais en ce début de XVIe siècle le pèlerinage à Compostelle, quoique déclinant, attirait encore un nombre respectable de dévots.

Au XVIIIe siècle, Saint Bertrand de Comminges verra passer un autre pèlerin célèbre : Saint Benoît-Joseph Labre. Benoît, âgé de 25 ans, arrive en vue de Saint Bertrand de Comminges à l'automne 1773. Là, il est témoin d'une tentative d'assassinat. Notre homme est tellement pouilleux qu'on le prend pour le meurtrier et on l'enferme dans la prison de la ville située alors à la Porte Majou.

Après trois jours, la victime, heureusement, repris ses esprits et disculpa Benoît. Loin de maudire ceux qui lui avaient fait subir pareil sort, Benoît-Joseph resta une quinzaine de jours à soigner les malades dans l'hôpital de Saint Bertrand : là, il édifia par sa piété et par les soins qu'il prodigua aux malades et aux moribonds.

Ayant sans doute entendu parler de la libération de Sanche Parra de la prison de Montjuic à Barcelone par saint Bertrand, Benoît-Joseph décida de s'y rendre en passant par le Val d'Aran - une chapelle dédiée au saint évêque du Comminges commémorait ce fait miraculeux à Montjuic. De là l'intrépide vagabond de Dieu partit pour l'abbaye bénédictine de Montserrat où il demeura près d'un mois, visita la grotte, toute proche, de Manrèse en souvenir de saint Ignace de Loyola, puis se dirigea vers Saragosse pour vénérer Notre Dame du Pilar. Enfin, il prit le chemin de Saint Jacques de Compostelle... but de son pèlerinage! Cet étonnant itinéraire sera repris par plusieurs cartographes du XIXe siècle... brouillant sensiblement le tracé initial du chemin du Piémont.

Photo © Paroisse St-Bertrand

 

Une statue fut solennellement érigée dans la cathédrale de Saint Bertrand le 8 décembre 1882, pour le premier anniversaire de la canonisation de saint Benoît-Joseph. Une source, entre Seilhan et Labroquère, marque le lieu de la tentative de meurtre. Une plaque commémorative vient d'être apposée à la Porte Majou.

Benoît-Joseph Labre fut sans doute l'un des derniers pèlerins à passer par Saint Bertrand avant que le pèlerinage de Galice ne retrouve une nouvelle jeunesse.

 
L'UNESCO vient de reconnaître l'authenticité du passé jacquaire retracé ici à grands traits en retenant la cathédrale de Saint Bertrand, la chapelle Saint Julien du Plan, la basilique paléochrétienne et la Basilique Saint Just de Valcabrère parmi les soixante-neuf monuments ou sites inscrits, avec les Chemins de Saint Jacques en France, au Patrimoine Mondial de l'Humanité.

 
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